STOP N°23 A
PLACE DU MARCHÉ - ANECDOTES

 
LE PATI
Les enfants se cachent… Au loin on entend une grosse voix "Pati !... Pati !... Peaux de lapin ! Pati ! Pati !... " Ils ne craignent rien, ils ont été sages… Très grand, très fort, plutôt sale, tout de noir vêtu, le Pati porte une vieille hotte. Il a aussi une carriole, pour charger ce qui est encombrant et lourd. Le Pati est devant la maison. Les peaux de lapin séchées sont suspendues aux crochets ; tope-là, c'est vendu ! Le Pati achète tout : les peaux d'animaux, les choses usagées, les vêtements, les métaux, les vieux outils, le cuivre… pour les revendre ensuite à des entreprises de transformation. Il est aussi brocanteur, il achète aussi des meubles anciens, des pendules "comtoises"… Il a l'œil sûr. Il repère tout ! Ne le laissez pas entrer si vous n'avez rien à lui proposer.


HISTOIRE VÉCUE
Le Pati, entré dans la maison, aperçoit la commode avec son énorme marbre dessus. "Je vous la prends !". Avant que mon grand-père n'ait eu le temps de répondre, le Pati se saisit du marbre, le prend sous le bras et le descend dans le jardin. Pépé l'arrête avant qu'il ne le charge dans sa carriole. Le Pati pose alors le marbre et s'en repart sans mot dire. Il faudra bien deux hommes, Papa et Pépé pour remettre le marbre à sa place. Le Pati était un grand géant noir comme un charbonnier, intimidant et culotté !


LE MAIRE ET LE CURÉ
Le 9 décembre 1905, Aristide Briand, républicain-socialiste, fait voter la loi de séparation des Églises et de l’État, dont il est l'initiateur et le rapporteur. L’État prolonge la mise à disposition gratuite des presbytères jusqu'au 9 décembre 1910. En 1928, le Père Souzy, archiprêtre de Vaugneray depuis 1924, ne pouvait plus payer le loyer demandé par M. Brun, maire de Vaugneray de 1926 à 1943, et il dut partir de Vaugneray ; l'église fut fermée. Les paroissiens se résignèrent donc à aller aux offices dans les villages avoisinants : Grézieu-la-Varenne, St-Laurent-de-Vaux. De ce fait, l'église de St-Laurent-de-Vaux bénéficia des dons faits par les nouveaux paroissiens et put enfin faire construire le clocher laissé en attente, faute de moyens. Plus d'un an après, les Sœurs de la maison de santé mirent à la disposition du nouveau prêtre, le Père Boyer, un bâtiment qui devint la cure. Le 10 janvier 1928, Jean-Paul Clavanier fut le premier enfant baptisé hors de sa paroisse natale ; le 15 juillet 1929, Thérèse Clavanier, sa sœur, fut la première enfant baptisée sur la paroisse de Vaugneray, après le retour du curé.


LE COMMIS

Un jeune commis travaillait dans une ferme. Il devait travailler toute la journée, loin de la ferme. La fermière lui préparait son repas pour midi et il partait au champ. Le premier jour, elle lui mit un morceau de pain de la grosseur d'une demi-baguette ; il mangea tout le pain. Voyant qu'il avait fini tout son pain, la fermière lui mit, le deuxième jour, une baguette entière. Et ainsi de suite : tous les jours, elle augmentait la quantité de pain, et tous les jours, il le finissait. Au septième jour, ne sachant que faire pour rassasier son commis, la fermière lui mit un gros pain entier ; il le mangea. Le huitième jour, alors que la fermière préparait le repas du commis, il vint la voir et dit, hésitant : "Si vous pouviez me mettre un peu moins de pain ce serait gentil ; depuis quelques jours j'ai beaucoup de mal pour le finir, mais hier j'ai cru que je n'y arriverai pas".


L'ARGUS DU CHEVAL
Le cheval de trait était l'outil principal de l'agriculteur : un bon cheval valait cher. Il y eut, jusque dans les années 1970, une estimation de leur valeur. Chaque agriculteur devait faire estimer son cheval. Un vétérinaire et les paysans de Vaugneray et des villages environnants possédant un cheval pour le travail se retrouvaient dans une ferme, et là commençait l'estimation. Chaque cheval devait marcher, courir, tirer une charge ; on lui regardait son âge, son allure, ses capacités à obéir, ses dents, ses sabots, ses fers… Un prix était alors fixé. Si, malheureusement le cheval mourait dans l'année, le nouveau propriétaire recevait une indemnisation fixée à partir de l'estimation.


LA JUSTICE DE PAIX
Les justices de paix étaient des juridictions de proximité, mise en place sous la Constituante de 1790, et supprimées en 1958. Il y avait alors une juridiction par canton ; chacune était sous la responsabilité du juge de paix. L'accès à la fonction ne nécessitait aucune qualification particulière en droit, ni diplôme, mais résultait d'un vote, puis d'une nomination. Le juge de paix devait avoir trente ans accomplis. Il était élu par les citoyens actifs - voir ci-après -  du canton, réunis en assemblée primaire. La présence de deux assesseurs était obligatoire pour qu'il puisse rendre son jugement. La loi du 9 ventôse de l'an IX (28 février 1801) remplace les assesseurs par deux suppléants, et permet au juge de statuer seul. La mission du juge de paix est de régler les litiges de la vie quotidienne par une démarche conciliatrice, les petites affaires personnelles et mobilières, les reconnaissances en paternité, les contraventions de simple police, la levée ou le maintien des scellés…
 
En 1791, pour être citoyen, il faut être Français et avoir plus de vingt-cinq ans. Il y a trois sortes de citoyens : les passifs, incapables de payer des impôts ; les actifs, qui payaient des impôts à valeur de trois jours de travail, soit une livre et demi à trois livres ; et les vrais citoyens actifs, qui payaient des impôts à valeur d'environ dix jours de travail (cinq à dix livres) et qui étaient propriétaires. Ces derniers élisaient l'Assemblée législative, le Conseil de District et le tribunal de district, et s'y portaient candidats. Ils se réunissaient en assemblée électorale, aux chefs-lieux de département pour désigner les députés, les juges et les membres des administrations départementales. On y retrouvait principalement des personnes dotées d'une autorité morale et d'une situation sociale établie.

HISTOIRES VÉCUES PAR UNE VALNÉGRIENNE PENDANT LA GUERRE

LE BOULANGER À FAÇON

Le boulanger, M. Clavanier, avait très peu, voire pas du tout de farine. Il passa un accord avec les paysans : pour avoir du pain, ils devaient lui apporter la farine, qu'ils avaient moulue avec leur propre blé. Ensuite, le boulanger confectionnait leur pain. De ce fait, les agriculteurs ne payaient que "la façon".



DÉCLARATION DE LA GUERRE
Un roulement de tambour résonne dans le village ; tous les habitants sont là, le garde-champêtre annonce : "La guerre est déclarée". Nous sommes le dimanche 3 septembre 1939. Mon père, charcutier, est mobilisé. Maman, ma sœur et moi allons habiter pour plus de sécurité, chez mes grands-parents, boulangers justes de l'autre côté de la rue. L'armée réquisitionne la charcuterie pour nourrir les troupes. A son départ elle emporte tout le matériel de travail de mon père. Quand il rentre en 1940, il ne lui reste plus rien, il ne peut pas reprendre son activité. Il se fait embaucher à la mairie pour la construction de la route de Malval. Les employés n'ont que des pelles et des pioches (voir photo ci-après). Un beau jour, la gendarmerie d'Alès contacte celle de Vaugneray : "On a trouvé une voiture contenant du matériel de charcutier appartenant à M. Pierre C." C'est ainsi que mon père put reprendre son métier. Ce ne fut pas facile, car il y avait des restrictions ; à la Mouche (les abattoirs de Lyon) la viande était rare.
 
Dans les bâtiments de la boulangerie, durant la guerre, mes grands-parents logèrent trois familles, dont une maman juive et ses trois filles ; le papa était parti au combat. Par obligation, mes parents, juste en face, durent prendre en pension une fillette de cinq ans venant de Lyon ; son père était milicien, et comme il voulait voir sa fille, mon père lui dit : "pour plus de sécurité, venez à la tombée de la nuit". Pour qui la sécurité ? Ainsi, il ne vit jamais les occupants de la maison d'en face, et heureusement.
 
Dans l'école de la rue de la Déserte, le Docteur Serullaz et Mademoiselle Boisselle soignaient les blessés ; en bas de cette rue, au niveau du village, des hommes armés surveillaient une imprévisible venue des Allemands et donnaient, si besoin, l'alarme.
 
Pour bloquer les Allemands qui poursuivaient un bataillon de soldats sénégalais, le poste d'essence de Vaugneray, situé place du Marché avait été vidé. Quand les Allemands arrivèrent, plus d'essence. Ils se mirent en colère et obligèrent la marchande à pomper pour voir si c'était vrai. La pauvre femme en a eu des sueurs froides, car de l'essence arrivait, mais c'était seulement ce qui restait dans le tuyau. Les Allemands partirent, furieux, sans essence. Malgré tout, ils réussirent malheureusement à rattraper le bataillon et massacrèrent tous les soldats.
 
A l'Hôtel du Nord, venus de Paris, Mme Brunswick et son fils, juifs tous les deux, s'étaient réfugiés. Un matin, le fils qui n'en pouvait plus de l'isolement, partit pour Lyon par le train. Au retour, le train fut stoppé par la police pour un contrôle au niveau de Bel-Air ; les policiers firent descendre le jeune homme et l'emmenèrent. Nous n'avons jamais su où il fut emmené.
 
En 1944, le directeur du centre de la milice installée Villa Bocuze a été fusillé devant la mairie par les F.F.I. quelques jours avant la Libération ; son corps resta exposé toute la journée. Quand la villa fut désertée par la milice, la secrétaire, Simone A., fille d'un de nos gendarmes et sa maman eurent la tête rasée devant la mairie, puis elles durent grimper dans une charrette et furent exhibées dans tout le village. Je regardais par les fenêtres de la salle à manger, et mon papa me sortit de là, et me dit : "ce n'est pas à regarder". Les semaines suivantes, elles sortirent la tête couverte d'un foulard.



LES SOLDATS AMÉRICAINS
Un jour, deux camions de G.I. arrivèrent à Vaugneray ; ils se cantonnèrent sur la place du marché, juste devant chez nous. Mon père installa un miroir dans notre salle à manger, où les gradés venaient se raser tous les matins. Pour montrer leur reconnaissance, les G.I. ont offert une paire de bas à maman. Quel bonheur ! Des bas ! Et de plus en nylon ! Une nouvelle matière, nous n'avions jusqu'alors que des bas en soie, et c'est aussi un de ces G.I. qui m'a donné mon premier chewing-gum.



CHAUSSETTES POUR LES PRISONNIERS
Ce sont les vacances scolaires ; nous sommes en 1939, six amies dont je suis la plus jeune, les plus grandes ayant entre huit et dix ans. Nous décidons de monter une pièce de théâtre. Pour la première, en 1940, nous donnons notre spectacle dans le couloir du magasin Bouchard. La représentation finie, nous portons fièrement la recette à Mme Vialatoux (voir Stop n°10), qui a un bureau à la mairie ; elle nous dit : "avec cet argent, je trouverai de la laine et ferai tricoter des chaussettes que nous enverrons à nos chers prisonniers". Ma grand-mère faisait partie de ces dames qui tricotaient les après-midi pour les prisonniers, chez Mme Vialatoux. La deuxième année, notre spectacle a eu lieu dans la cour de mes grands-parents, la troisième dans le clos de chez Granger, la quatrième dans la salle paroissiale face au cinéma rue de la Déserte. Nous étions si fières d'aider nos prisonniers !



RETOUR DES PRISONNIERS
Après la Libération, à chaque retour de prisonniers, les cloches de l'église sonnaient à toute volée. C'est M. Verzieu qui tirait les cordes. Les élèves sortaient de l'école, descendaient de la rue de la Déserte pour être présent(es) à l'arrivée de la motrice du petit train. C'était un moment de grande joie et de grande émotion dans le village.